Lorsqu’un de vos clients est placé en procédure collective, la première inquiétude des créanciers est simple : comment récupérer ma créance en sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire ?
Vais-je être payé, et à quel moment ?

Par Luc Arminjon, avocat en droit des entreprises en difficulté

La réponse dépend principalement de trois paramètres :

  1. La procédure ouverte (sauvegarde, redressement judiciaire, liquidation judiciaire)
  2. La date de naissance de votre créance (avant ou après le jugement d’ouverture)
  3. L’origine de la créance (contrat en cours, dommages-intérêts, prestation postérieure, etc.).

Les créanciers sont dans des situations différentes et disposent de différents leviers pour se faire payer.

Période d’observation : définition et effets pour les créanciers

En sauvegarde (art. L.620-1 s. du code de commerce) et en redressement judiciaire (art. L.631-1 s. du code de commerce), le jugement d’ouverture ouvre une période d’observation.

Objectifs

Analyser la situation économique et sociale de l’entreprise et préparer un plan de sauvegarde ou de redressement, ou, si cela est impossible, une conversion en liquidation judiciaire.

La période d’observation dure en principe 6 mois, renouvelable une fois pour la même durée (art. L.621-3 et L.631-7 du code de commerce).

Effets principaux pour les créanciers

À compter du jugement d’ouverture :

  • les poursuites individuelles des créanciers sont arrêtées ou interdites (art. L.622-21 et L.631-14 du code de commerce) ;
  • le cours des intérêts et majorations est arrêté pour les créances non privilégiées (art. L.622-28 et L.631-14 du code de commerce) sauf si leur durée est supérieure ou égale à un an ;
  • les contrats en cours ne sont pas automatiquement résiliés : ils sont en principe poursuivis si le maintien de l’activité l’exige (art. L.622-13 et s. et L.631-14 du code de commerce) ;

Créances antérieures au jugement d’ouverture : obligation de déclaration

On appelle créances antérieures les créances dont le fait générateur est antérieur au jugement d’ouverture, même si elles ne sont pas encore exigibles à cette date.

Déclaration de créance : une étape obligatoire

Toutes les créances antérieures (y compris celles qui font l’objet d’un procès en cours) doivent être déclarées auprès du mandataire judiciaire (ou au liquidateur en liquidation judiciaire) dans un délai de 2 mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC.

àPour un descriptif exhaustif sur la déclaration de créance et la procédure d’admission cf. article : La déclaration de créance : guide pratique et complet pour les créanciers

Actions en cours et interdiction des condamnations au paiement

Les procédures judiciaires en cours au jour du jugement d’ouverture sont interrompues (art. L.622-21, al. 3 du code de commerce).
Elles peuvent être reprises après déclaration de créance, mais uniquement pour constater l’existence de la créance et en fixer le montant.

Puis, la procédure revient devant le juge-commissaire qui statue sur l’admission de la créance fixée. Le juge saisi ne peut plus prononcer de condamnation au paiement contre le débiteur : le paiement relève exclusivement de la procédure.

Créances postérieures : quand peut-on être payé à l’échéance ?

Les créances nées après le jugement d’ouverture ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Le code de commerce distingue celles qui bénéficient d’un statut privilégié, dès leur échéance, et les autres.

Les créances « utiles » au sens de l’article L.622-17 du code de commerce

L’article L.622-17 du code de commerce (applicable en sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire) prévoit que certaines créances postérieures sont payées à l’échéance et bénéficient d’un rang prioritaire :

  • celles nées régulièrement après le jugement d’ouverture ;
  • pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation ;
  • ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période.

Ce sont les fameuses créances « méritantes ». Exemples classiques :

  • factures de biens livrés pendant la période d’observation ;
  • poursuite d’un contrat en cours ;
  • loyers d’un contrat de location ou d’un bail poursuivi ;
  • prestations de services rendues au débiteur pendant la période d’observation pour les besoins de son activité.

En pratique, le créancier doit être en mesure de prouver :

  1. que sa créance est bien née après le jugement d’ouverture ;
  2. qu’elle a été contractée régulièrement (contrat valable, pas de fraude) ;
  3. qu’elle a été utile à la poursuite de l’activité ou à la procédure.
  4. En cas de non-paiement à l’échéance par le débiteur, il doit adresser sa demande à l’administrateur judiciaire ou au liquidateur.

Ordre des paiements en sauvegarde et redressement

En sauvegarde et en redressement, l’ordre de paiement est organisé par l’article L.622-17. Schématiquement, l’ordre de paiement est le suivant :

  1. Super-privilège salarial ;
  2. Frais de justice et créances de procédure ;
  3. Créances bénéficiant du privilège « d’argent frais » ;
  4. Créances postérieures « utiles » au sens de l’article L.622-17 ;
  5. Créances antérieures admises, selon leur rang (privilégiées, chirographaires, etc.). Elles sont payées dans le cadre de du plan ou dans la répartition en cas de liquidation judiciaire (rarement ou peu payées en pratique).

à Le créancier peut obtenir un titre exécutoire et mettre en œuvre des mesures d’exécution individuelles, car il n’est pas soumis à l’arrêt des poursuites applicable aux créances antérieures. Il peut simplement se heurter au rang de sa créance en cas de concours de créanciers.

à En revanche, les créances nées après l’ouverture de la procédure qui ne présentent pas ce caractère d’utilité ne sont pas payables à l’échéance. Elles doivent être déclarées dans les deux mois de leur exigibilité (art. L.622-24, al. 6) et seront réglées, si l’actif le permet, après les créances postérieures utiles.

=> Il convient donc d’être vigilant quand vous êtes en relation d’affaires avec une entreprise en procédure collective.

Créances postérieures en liquidation judiciaire : avec ou sans poursuite d’activité

En liquidation judiciaire, l’objectif principal n’est plus le redressement, mais la réalisation des actifs et la répartition du produit entre les créanciers. Le tribunal peut toutefois autoriser un maintien provisoire de l’activité pour une durée maximale de trois mois, renouvelable une fois.

Comme en sauvegarde et redressement, le paiement des créances antérieures reste interdit et les poursuites individuelles sont arrêtées. En revanche, les créances nées après le jugement de liquidation peuvent, sous certaines conditions, être payées à l’échéance et bénéficier d’un rang prioritaire (art. L.622-17 et L.641-13 du code commerce).

Les règles sont les mêmes que celles énoncées pour la sauvegarde et le redressement judiciaire.

Sont considérées comme « postérieures utiles » et donc payables à l’échéance :

  • les créances nées régulièrement après le jugement,
  • pour les besoins du maintien provisoire de l’activité ou du déroulement de la procédure,
  • ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période,
  • ainsi que certaines dépenses de la vie courante du débiteur personne physique (art. L.641-13, I).

Conciliation et procédure collective : que deviennent les créanciers ?

La conciliation (art. L.611-4 et s. du code de commerce) peut précéder l’ouverture d’une sauvegarde, d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire. Un accord de conciliation entre le débiteur et ses créanciers peut être constaté ou homologué.

Cependant, l’ouverture d’une procédure collective met automatiquement fin à l’accord.
Les créanciers retrouvent l’intégralité de leurs créances et sûretés initiales qu’ils auraient abandonnées ou réduites, déduction faite des paiements déjà reçus.
Les remises, délais et aménagements consentis dans l’accord ne survivent pas à l’ouverture de la procédure. Les sûretés accordées en contrepartie de remises ou délais deviennent caduques.

Lorsqu’un créancier a consenti un nouveau financement, un approvisionnement ou une prestation nouvelle spécialement pour les besoins de l’accord (nouvelle créance), les sûretés prises pour garantir cette créance restent valables malgré la caducité de l’accord.

Le privilège de conciliation (New Money) : en cas d’accord homologué, les créanciers ayant apporté un nouvel apport en trésorerie  bénéficient d’un privilège de paiement prioritaire dans la procédure collective ultérieure.

Ce privilège s’applique en sauvegarde, redressement judiciaire et liquidation judiciaire (renvoi aux art. L.622-17 et L.641-13).

Contrats en cours : poursuite, résiliation et dommages-intérêts

Les créances nées de la poursuite du contrat remplissent en général les conditions de l’article L.622-17 : elles sont postérieures, régulières et utiles, donc payables à l’échéance.

La résiliation d’un contrat en cours qui donne lieu à une créance de dommages-intérêts du cocontractant est traitée comme une créance antérieure soumise à déclaration, même si la résiliation intervient après l’ouverture.

Autres leviers à la disposition des créanciers

Au-delà de la distinction antérieure/postérieure, plusieurs mécanismes peuvent améliorer la position du créancier.

Revendication et restitution de biens

Le créancier qui demeure propriétaire des biens (crédit-bailleur, vendeur avec clause de réserve de propriété…) peut faire valoir son droit de propriété par une action en revendication ou restitution (cf. article sur le sujet).

Gage et droit de rétention

Le créancier nanti d’un gage avec dépossession peut disposer d’un droit de rétention sur le bien. Le juge-commissaire peut autoriser un « retrait du gage » si le bien est indispensable à la poursuite de l’activité, moyennant le paiement du prix au créancier alors qu’il s’agit d’une créance antérieure (article L.622-7 du code de commerce).

Depuis la réforme du gage sans dépossession, ce dernier ne confère plus, en lui-même, un droit de rétention opposable après l’ouverture de la procédure.

Poursuites et saisies en cours

Les procédures civiles d’exécution engagées avant l’ouverture (saisie immobilière, saisie conservatoire…) sont stoppées par l’effet de l’article L.622-21 du code de commerce.

Là encore, après l’ouverture, il ne peut être question que de fixer les créances, non d’ordonner le paiement.

Bonnes pratiques pour maximiser vos chances de recouvrement

  1. Surveiller les publications au BODACC et Infogreffe
    • afin de ne pas rater le point de départ du délai de 2 mois.
    • Mettre une alerte
  2. Déclarer la créance antérieure dans les temps
  3. Vérifier si la créance est postérieure « utile » avant de s’engager avec le débiteur
  4. Identifier correctement l’origine antérieure ou postérieure de la créance
  5. Faire une action en revendication

Vous pouvez me contacter en toute confidentialité. Je réponds personnellement à chaque demande. Si vous souhaitez clarifier votre situation, vous pouvez réserver un rendez-vous en ligne confidentiel sans engagement.

Luc Arminjon, avocat en droit des entreprises en difficulté : prévention des difficultés (mandat ad hoc et conciliation) reprise d’entreprises en redressement judiciaire ou liquidation judiciaire, redressement judiciaire, procédure de sauvegarde, liquidation judiciaire et défense des dirigeants (comblement de passif, faillite personnelle, interdiction de gérer)

Photo de Tim Foster sur Unsplash

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