Introduction

Bail commercial et procédure collective : quand le bailleur peut-il s’opposer à la cession ? Il s’agit d’une question courante en redressement judiciaire et particulièrement en liquidation judiciaire lors de la réalisation de l’actif par le liquidateur judiciaire.

Dans une entreprise en difficulté, le bail commercial est souvent l’un des actifs les plus stratégiques : il garantit la poursuite de l’activité, la valeur du fonds de commerce et souvent l’intérêt du repreneur.
Mais que se passe-t-il lorsque ce bail est cédé dans un plan de cession ou vendu isolément en liquidation judiciaire ?
Le bailleur peut-il s’opposer à la cession ? Et dans quels cas est-il au contraire contraint ?

La question vient d’être clarifiée par un arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 2025 : les juges rappellent les limites du pouvoir du juge-commissaire et la portée des clauses d’agrément du bailleur.

Cet article fait le point sur les cas où le bailleur peut – ou non – s’opposer à la cession du bail, selon le type de procédure collective.

Dans tous les cas, le bail ne doit pas avoir été résilié définitivement avant la cession. Sinon, la cession du bail n’est pas possible dans une procédure collective. Par exemple si la clause résolutoire du bail a été acquise définitivement par une décision de justice passée en force de chose jugée, le bailleur reprend ses droits et récupère son bail sans que celui-ci puisse être cédé par le tribunal de la procédure collective ou le juge-commissaire.

Par Luc Arminjon, avocat en droit des entreprises en difficulté : prévention des difficultés (mandat ad hoc et conciliation) reprise d’entreprises en redressement judiciaire ou liquidation judiciaire, redressement judiciaire, procédure de sauvegarde, liquidation judiciaire et défense des dirigeants. 

Le principe : la cession du bail peut être imposée au bailleur dans un plan de cession

Lorsqu’un plan de cession est arrêté par le tribunal dans le cadre d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, les contrats nécessaires à la poursuite de l’activité, dont le bail commercial, peuvent faire l’objet d’une cession forcée au repreneur par le tribunal (article L. 642-7 du code de commerce).

Le jugement emporte cession des contrats, même contre le gré des cocontractants et notamment du bailleur. Il sera convoqué et entendu à l’audience avant le jugement arrêtant le plan de cession de l’entreprise et des contrats nécessaires à la poursuite de l’activité.

Dans un plan de cession, le seul prérequis est que le bail doit être un contrat en cours.

Le transfert des contrats au cessionnaire s’opère contre leur gré, nonobstant toute clause restrictive ou d’agrément stipulée dans le bail.

Neutralisation des clauses restrictives

  • Les clauses d’agrément (nécessité d’accord du bailleur pour céder le bail) sont réputées non écrites.
  • Les clauses de préemption ou de solidarité entre cédant et cessionnaire sont également neutralisées.
  • Le bailleur ne peut donc s’opposer à la cession du bail lorsque celle-ci est jugée nécessaire à la poursuite de l’activité cédée dans un plan de cession.
  • Le tribunal peut autoriser une déspécialisation partielle du bail en faveur du repreneur par l’adjonction d’activités connexes ou complémentaires, sans l’accord du bailleur et même si cela n’est pas prévu au bail.

Mais, le tribunal doit avoir préalablement entendu le bailleur.

Cette solution est d’ordre public : elle s’impose à tous, sans qu’aucune stipulation contractuelle puisse y déroger.

🔗 Voir aussi : La continuation des contrats en cours dans les procédures collectives
et La cession forcée des contrats en plan de cession

Recours du bailleur limité

Le bailleur dont le contrat est judiciairement cédé peut uniquement faire appel sur la partie du jugement concernant son propre contrat.

En dehors de cette voie étroite, la cession s’impose : le bailleur est donc juridiquement “contraint”.

En revanche, dans une cession isolée, le bailleur peut faire valoir la clause d’agrément

Tout change lorsque le bail est cédé en dehors d’un plan de cession global.

Cette situation se rencontre notamment en liquidation judiciaire, lorsqu’un fonds de commerce ou un droit au bail est vendu de gré à gré sur autorisation du juge-commissaire (article L. 642-19 du code commerce).

Le rôle du juge-commissaire

Le juge-commissaire autorise la vente « aux prix et conditions qu’il détermine ».
Il ne statue que sur la réalisation de l’actif, pas sur l’exécution du contrat lui-même.

Or, dans une cession isolée, la clause d’agrément du bailleur redevient applicable.
Contrairement au plan de cession, la loi ne neutralise pas automatiquement cette clause.

La jurisprudence du 15 janvier 2025

Dans l’arrêt précité, la Cour de cassation confirme que :

Ni le juge-commissaire, ni la cour d’appel saisie d’un recours contre son ordonnance ne peuvent apprécier le caractère abusif du refus du bailleur d’agréer le cessionnaire.

Autrement dit, si le bailleur refuse le repreneur proposé, le juge de la procédure collective ne peut pas le forcer à accepter.
Le liquidateur devra saisir le juge de droit commun (tribunal judiciaire) pour obtenir, éventuellement, des dommages et intérêts en cas de refus abusif.

Conséquence pratique : cette action est souvent longue et aléatoire, ce qui retarde la réalisation de l’actif et fragilise la procédure.

🔗 À lire en complément : Reprendre un fonds de commerce en liquidation judiciaire – les étapes et conditions

La chronologie à respecter et les bonnes pratiques

Étape 1 : Autorisation du juge-commissaire

L’ordonnance doit expressément mentionner la clause d’agrément comme condition suspensive de la cession.
Le juge ne peut pas “passer outre” cette clause ; il ne peut qu’ordonner la cession sous cette condition.

Étape 2 : Obtention de l’agrément du bailleur

Une fois l’ordonnance rendue, le liquidateur doit solliciter l’agrément du bailleur.
Le bailleur peut accepter ou refuser le cessionnaire ; en cas de refus, la vente ne peut pas être réalisée tant que l’agrément n’est pas obtenu.

Étape 3 : Contestation du refus

Si le bailleur refuse de manière jugée abusive, le litige relève du juge de droit commun (article R. 145-23 du code de commerce), et non du tribunal de commerce de la procédure collective.

La question de la compétence du tribunal des affaires économiques depuis l’entrée en vigueur de la réforme le 1er janvier 2025 pourrait faire débat.

L’article 26 de la loi du 20 décembre 2023 énonce que « le tribunal des activités économiques, saisi de la procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire du débiteur, connaît de toutes les actions et les contestations relatives aux baux commerciaux qui sont nées de la procédure et qui présentent avec celle-ci des liens de connexité suffisants. »

Mais des auteurs considèrent que le tribunal judiciaire demeure compétent en cas de refus d’agrément « abusif » du bailleur. Il serait discutable de considérer que le refus d’agrément soit né de la procédure collective.

Le liquidateur peut demander des dommages et intérêts, mais la vente ne sera pas forcée.

En pratique, il est conseillé de sonder le bailleur avant de solliciter l’ordonnance, afin d’éviter des blocages ultérieurs.

Clauses réputées non écrites et neutralisations complémentaires

Certaines clauses du bail commercial sont réputées non écrites lorsqu’une procédure collective est ouverte :

  • Clause de solidarité entre cédant et cessionnaire → réputée non écrite en sauvegarde, redressement judiciaire ou liquidation judiciaire (article L. 642-7 du code de commerce). Cette clause s’applique en plan de cession et cession de gré à gré (article L. 641-12 du code de commerce).
  • Droits de préemption légaux (urbanisme, SAFER) → inapplicables sur les biens compris dans un plan de cession (article L. 642-5 du code de commerce).

Ces neutralisations visent à assurer la continuité économique et à éviter que des stipulations contractuelles bloquent la transmission des entreprises viables.

🔗 Lire aussi : Quel sort pour le bail dans les procédures collectives ?

Plan de cession vs cession isolée : deux logiques opposées

Voici la clé de lecture essentielle : tout dépend du cadre juridique dans lequel la cession intervient.

Type de cessionBase légaleClause d’agrémentPouvoir du bailleurRecours possibles
Plan de cessionArt. L. 642-7 C. com.Neutralisée (non écrite) Modification partielle du bail possibleAucun pouvoir d’oppositionoui
Cession isolée (vente de gré à gré ou enchères)Art. L. 642-19 C. com.Opposable mais pas de modification possible du bail par le jugePeut refuser le repreneurAction en responsabilité en cas de refus devant le juge commun et/ou recours du bailleur possible

Cette distinction traduit deux philosophies :

  • Le plan de cession relève d’une logique collective et d’ordre public : sauver l’activité et l’emploi prime sur la liberté contractuelle.
  • La cession isolée relève d’une logique liquidative : l’actif est vendu, mais les conditions du contrat doivent être respectées.

En pratique, cette différence détermine le niveau de pouvoir du bailleur et la rapidité de la procédure.

Conclusion

Analyser le bail avant de déposer son offre : certaines clauses peuvent retarder la reprise.

  • S’assurer du caractère “nécessaire” du bail à l’activité cédée : seul ce caractère justifie la neutralisation des clauses d’agrément.
  • En cas de cession isolée, préparer une présentation du projet pour rassurer le bailleur et maximiser les chances d’agrément.

Dans une procédure collective, le bail commercial concentre tous les enjeux : sauvegarder l’activité, valoriser l’actif, sécuriser le repreneur.
Mais la marge de manœuvre du bailleur varie profondément selon le cadre juridique de la cession.

L’arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 2025 confirme que le juge-commissaire n’a pas compétence pour juger du caractère abusif d’un refus d’agrément : le bailleur reste libre, en cession isolée, de s’opposer à la vente du bail.
En revanche, dans un plan de cession, le bailleur est totalement lié par le jugement, quelles que soient les clauses du bail.

Dans les procédures collectives, anticiper la question du bail est souvent la clé d’une cession réussie ou, à l’inverse, d’un échec coûteux.
Dirigeants, repreneurs ou bailleurs : un accompagnement juridique adapté peut éviter de nombreux contentieux.

Les règles varient selon le type de procédure et le rôle de chaque partie.
Luc Arminjon, avocat en droit des entreprises en difficulté, vous accompagne pour sécuriser vos baux et vos projets de reprise.
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