La déclaration de créance : Guide pratique et complet pour les Créanciers
Les créanciers qui ont une créance antérieure au jugement d’ouverture subissent la suspension des poursuites individuelles dont bénéficie le débiteur (art. L.622-21 du code de commerce). Cela signifie qu’ils ne peuvent plus poursuivre le débiteur en paiement de leur créance. Le débiteur en procédure collective a l’interdiction de payer les créances antérieures au jugement d’ouverture.
Aussi, la déclaration de créance est une étape essentielle de toute procédure collective (sauvegarde, d’un redressement judiciaire ou d’une liquidation judiciaire). C’est le moyen pour le créancier de faire valoir son droit. Cette déclaration de créance conditionne l’admission du créancier au passif de la procédure, et donc sa possibilité d’être éventuellement payé un jour, à l’issue des opérations de répartition de l’actif ou lors d’un plan de redressement ou de sauvegarde. Mal réalisée, elle peut entraîner la perte de la créance.
Par exemple, une créance non déclarée par le créancier ne pourra pas être compensée avec une dette du créancier envers le débiteur si la compensation n’a pas eu lieu avant le jugement d’ouverture.
Qu’est-ce qu’une déclaration de créance ?
La déclaration de créance est l’acte par lequel un créancier demande au mandataire judiciaire (ou au liquidateur) d’admettre au passif la créance qu’il détient à l’encontre du débiteur en procédure collective (art. L. 622-24 du Code de commerce).
Qui peut déclarer une créance ?
La déclaration peut être faite :
- par le créancier lui-même : le représentant légal de la société, un salarié muni d’un pouvoir spécial de déclarer les créances. Néanmoins en cas de pouvoir irrégulier ou d’absence de pouvoir du préposé, le créancier peut ratifier la déclaration de créance jusqu’à ce que le juge statue (article L. 622-24).
- par un avocat (sans nécessité de justifier d’un mandat) ;
- par un mandataire tiers (ex : cabinet comptable, juriste externe) : un mandat spécial est requis.
Le mandat doit avoir été donné avant l’expiration du délai de déclaration. MAIS la déclaration faite sans mandat valable peut être ratifiée par le créancier à tout moment, tant jusqu’à ce que le juge statue (Cass. com. 19 avr. 2023, n°21-20183 – affaire TAG Heuer LVMH).
À qui adresser la déclaration ? Quel formalisme ?
La déclaration doit être adressée :
- par écrit (lettre recommandée avec accusé de réception très vivement conseillé) ;
- au mandataire judiciaire en cas de sauvegarde ou redressement judiciaire ;
- au liquidateur judiciaire en cas de liquidation judiciaire ;
- En français (possibilité pour les ressortissants de l’UE d’utiliser leur langue en indiquant clairement « production de créance »).
- Avant de la signer, il faut indiquer la mention écrite que la créance est « Certifiée sincère ».
Quelles créances doivent être déclarées ?
Il faut déclarer :
- toutes les créances antérieures au jugement d’ouverture. Ce sont les créances qui sont nées avant le jugement d’ouverture, même si elles ne sont pas encore exigibles (même à échéance future) ;
- les créances conditionnelles, provisionnelles ou éventuelles ;
- certaines créances postérieures si elles ne sont pas « utiles » à la procédure collective au sens de l’article L.622-17 du Code de commerce (redressement judiciaire et sauvegarde) et L. 641-13 C. com en liquidation judiciaire. Seules les créances postérieures nées régulièrement pour les besoins de la procédure ou de la période d’observation après le jugement d’ouverture bénéficient du « privilège de procédure » et sont payées à leur échéance ;
- Créances à échoir : il est nécessaire de déclarer une créance même si elle n’est pas encore exigible au jour du jugement d’ouverture. Il convient de préciser le montant total attendu et les échéances à venir.
- Créances provisionnelles: lorsque le montant définitif de la créance n’est pas encore arrêté ou connu (dommages-intérêts en cours d’évaluation par exemple, créances fiscales etc.), il est admis de produire une créance « provisionnelle » estimée, quitte à la compléter plus tard. Il est donc conseillé de déclarer le montant le plus élevé possible.
- Créances d’intérêts : les créances d’intérêts et/ou les intérêts échus au jour du jugement d’ouverture doivent être déclarés, chiffrés ou accompagnés d’un mode de calcul. À défaut, les intérêts seront écartés.
Les intérêts dont les échéances sont postérieures au jugement d’ouverture sont écartés. Le jugement d’ouverture arrête le cours des intérêts ( article L. 622-28 du Code de commerce pour la procédure de sauvegarde, applicable au redressement judiciaire par l’article L. 631-14 et à la liquidation judiciaire par l’article L. 641-3 du Code commerce).
L’article L. 622-28 du Code de commerce prévoit une exception pour les prêts dont la durée est supérieure ou égale à un an et pour les créances contractuelles dont le paiement est différé pour une période supérieure ou égale à un an. Dans ce cas, les intérêts non échus au jour du jugement d’ouverture peuvent être déclarés avec les créances antérieures au jugement d’ouverture.
- Créances d’un contrat résilié : les créances, notamment de dommages-intérêts, nées de la résiliation d’un contrat en cours poursuivi après le jugement ouverture (ex : contrat de prestation de services ou bail) doivent être déclarées dans le mois de la résiliation ou notification de celle-ci.
- Les créances antérieures au jugement d’ouverture bénéficiant d’une compensation postérieure au jugement d’ouverture doivent être déclarées pour procéder à la compensation.
- Extension de procédure (par exemple ne cas de confusion des patrimoines) : le délai de déclaration court à compter de la publication du jugement d’extension de la procédure collective pour les sociétés concernées.
- La créance potentielle d’une caution qui pourrait être mise en jeu, même si la caution n’a pas encore payé le créancier poursuivant (art. L. 622-34 du Code de commerce).
- Créances entre époux ou issues d’un divorce : elles doivent être déclarées si elles répondent aux critères d’exigibilité et de certitude, et être accompagnées de pièces justificatives (jugement de divorce, convention homologuée, etc.).
Créances bénéficiant d’une sûreté : précisions importantes
- Si vous êtes titulaire d’une créance assortie d’une sûreté publiée (hypothèque, nantissement, privilège, etc.), vous bénéficiez d’un délai particulier pour déclarer votre créance : celui-ci court à partir de la réception de l’avertissement envoyé par lettre recommandée avec accusé de réception par le mandataire judiciaire, vous invitant à déclarer votre créance. Attention : si cet avertissement vous est envoyé avant la publication au BODACC, votre délai de déclaration commence tout de même à courir à partir de cette publication officielle.
- La nature et l’assiette des sûretés réelles ou personnelles (publiées ou non publiées) dont bénéfice la créance doivent être clairement précisées dans la déclaration de créance (nantissement du fonds de commerce, hypothèque par exemple).
Que doit contenir ma déclaration de créance ?
- montant de la créance (principal – échu et à échoir- intérêts)
- fondement juridique de la créance
- mention des éventuels privilèges ou sûretés
- attestation de sincérité « certifiée sincère »
- les pièces justificatives (factures impayées, bon de commande, bon de livraison, contrat le cas échéant etc.)
- le pouvoir spécial de déclarer une créance au passif
Créances dispensées de déclaration
Certaines créances ne nécessitent pas de déclaration :
- Créances privilégiée postérieures de l’article L.622-17 du code de commerceutiles à la procédure ou à l’activité du débiteur. Ces créances doivent toutefois être portées à la connaissance de l’administrateur ou, à défaut, du mandataire judiciaire ou du liquidateur si elles sont impayées.
- Créances salariales traitées spécifiquement.
- Créances non monétaires.
- Créances résultant de condamnation du dirigeant pour insuffisance d’actif.
- Créances admises ou déclarées lors d’une procédure collective précédente du même débiteur (par exemple conversion d’une procédure de sauvegarde en procédure de liquidation judiciaire).
- Les créances admises dans un plan de sauvegarde ou de redressement sont dispensées d’une nouvelle déclaration au passif de la nouvelle procédure collective. Les créances de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire initiale sont admises de plein droit au passif de la liquidation judiciaire ou d’un éventuel nouveau redressement judiciaire (articles L. 626-27 et R. 626-49 du Code de commerce).
- Créances bénéficiant d’une compensation avant le jugement d’ouverture.
- Créances alimentaires (déclaration néanmoins conseillée).
Créances bénéficiant d’une action directe contre un tiers (déclaration
Quel est le délai pour déclarer sa créance ?
Le délai de droit commun est de 2 mois à compter de la publication au BODACC du jugement d’ouverture (R. 622-24 du code de commerce).
Exceptions :
- Il est porté à 4 mois pour les créanciers hors France métropolitaine.
- 1 mois à compter de la résiliation ou de sa notification pour la créance de dommages-intérêts résultant de la résiliation d’un contrat en cours après le jugement d’ouverture.
En revanche les sommes impayées du contrat poursuivi qui sont antérieures au jugement d’ouverture doivent être déclarées au passif comme indiqué dans le présent article ;
- 2 mois à compter de l’exigibilité pour les créances postérieures au jugement d’ouverture « non utiles » ;
- Créanciers victimes d’une infraction pénale : 2 mois à compter de la décision définitive.
Vous pouvez faire une déclaration complémentaire dans les 2 mois initiaux.
Que se passe-t-il quand le débiteur a porté à la connaissance du mandataire la créance du créancier ?
En application de l’article L. 622-6 du Code de commerce, le débiteur est tenu de porter à la connaissance du mandataire la liste des créanciers et le montant de leurs créances (R. 622-5).
L’article L. 622-24 précise que lorsque le débiteur a porté une créance à la connaissance du mandataire judiciaire, il est présumé avoir agi pour le compte du créancier tant que celui-ci n’a pas adressé la déclaration de créance.
Effets juridiques de cette « déclaration » par le débiteur pour le compte du créancier
- Le mandataire judiciaire envoie un courrier au créancier l’informant qu’il doit déclarer sa créance dans le délai prévu (art. R.622-21 C. com.).
- Ce courrier mentionne les délais applicables même si la créance lui a été communiquée par le débiteur.
- Si le créancier ne déclare pas sa créance, il ne sera pas forclos en application de l’article L. 622-24 al. 3 du Code de commerce. Mais pour que la déclaration de créance faite par le débiteur pour le compte du créancier soit valable, il faudra que le débiteur ait respecté les règles des articles R. 622-4 et R. 622-5 du Code de commerce.
Sinon, le créancier qui n’aura pas déclaré sa créance dans le délai de deux mois devra demander un relevé de forclusion.
- En outre, il faut que le créancier soit d’accord avec le montant déclaré par le débiteur au mandataire judiciaire.
Position recommandée
- Il est recommandé de ne pas considérer l’information du mandataire par le débiteur comme suffisante pour voir sa créance admise au passif.
- La prudence impose au créancier de déclarer lui-même sa créance dans les délais, même si elle a été portée à la connaissance du mandataire par le débiteur. Le créancier peut confirmer le montant indiqué par le débiteur ou le modifier. Il peut également apporter des pièces complémentaires.
- Ces dispositions protectrices des droits du créancier sont surtout utiles en pratique pour un créancier qui n’a pas déclaré sa créance dans les délais. Il pourra ainsi invoquer le bénéfice de l’article L. 622-24 al. 3.
Que se passe-t-il si j’ai oublié de déclarer ma créance dans les délais ?
Demander un relevé de forclusion au juge-commissaire
Si un créancier n’a pas pu déclarer sa créance dans les délais légaux, il peut demander un relevé de forclusion au juge-commissaire (R. 622-33 du Code de commerce). Cette demande doit être formulée dans un délai maximal de 6 mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC ou, pour les créanciers titulaires d’une sûreté publiée, à partir de la réception de l’avertissement leur intimant de déclarer leur créance (art. L. 622-26 du Code de commerce).
Une fois que le juge-commissaire a rendu sa décision favorable au relevé de forclusion, les délais initiaux pour déclarer la créance sont réduits de moitié (art. L. 622-24 du Code de commerce).
Procédure d’admission, contestation et rejet des créances
Après la déclaration de créance, les créances font l’objet d’une vérification par le mandataire ou liquidateur judiciaire. Le juge-commissaire décide ensuite de leur admission ou rejet.
- Vérification : Le mandataire ou liquidateur judiciaire vérifie l’existence, le montant et les sûretés associées.
- Publication de l’état des créances : La liste des créances vérifiées est publiée.
- Contestation : En cas de désaccord avec le mandataire ou le liquidateur, le créancier ou débiteur peuvent contester devant le juge-commissaire.
Mais le créancier devra avoir répondu dans le délai de 30 jours suivant la notification de contestation de la créance par le mandataire ou le liquidateur. L’absence de réponse dans le délai de trente jours interdit au créancier toute contestation ultérieure de la proposition du mandataire judiciaire.
- Décision du juge-commissaire : Admission totale, partielle ou rejet de la créance.
Voies de recours
Recours contre la décision du juge-commissaire : Appel possible devant la Cour d’appel compétente.
Conséquences d’une déclaration absente ou tardive
La non-déclaration d’une créance entraîne plusieurs conséquences négatives : exclusion des répartitions, interdiction des poursuites individuelles, impossibilité de compensation et créance inopposable pendant l’exécution du plan.
Maître Luc Arminjon – Avocat en droit des entreprises en difficulté
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